Phèdre de Racine
Om bogen
Puissance d'une peinture vraie qui survit aux explications les plus différentes, le personnage de Phèdre ne cesse pas de bouleverser les hommes depuis presque trois mille ans, d'émouvoir en eux l'effroi tragique devant le spectacle de la passion. Quelle est donc cette force implacable par laquelle peu à peu un être qui reste le même cesse pourtant d'être ce qu'il était, ce qu'il voulait ? D'où vient cette possession totale de l'esprit et des sens par des appels jusque là méprisés, cette défait irresistible de la conscience qui assiste d'abord comme étrangère au trouble qui l'emporte, pour bientôt s'y livrer sans mesure avec une fureur déchirée ? L'admirable, dans ce dernier chef d'oeuvre profane écrit à 37 ans par un homme qui va renoncer au théâtre, c'est que Racine y respecte tout à la fois, avec les grands mythes anciens et les conceptions religieuses de son temps, les explications scientifiques les plus modernes. L'admirable plus encore, peut être, c'est que Racine tout en nous montrant avec force les ravages effrayants de la passion, en nous faisant "connaitre et haîr", comme il le dit dans sa préface, "la difformité du vice", nous inspire avant tout pour son personnage, beaucoup plus encore que l'horreur antique, la compréhension et la pitié. Il donne à Phèdre dans sa défaite, victime des dieux ou du déterminisme, une grandeur irrécusable. Il nous oblige à l'aimer.