Un avril bien tranquille à Saïgon
Roman
Om bogen
En plein Saigon, un homme et une femme se retrouvent dans un hôtel pendant 44 heures. De quoi revivre les événements du Quatrième mois...
Un hôtel 4 étoiles de la rue Dong Khoi, ex-Catinat. Deux amants d’origine vietnamienne, venus de Paris pour revisiter leur passé. Durant 44 heures de sexe et d’amour se profile une longue histoire, celle de Saïgon d’hier et d’aujourd’hui.
Il y a aussi Tong, Ly-An, Diêu Tu, autant de personnages entre le Vietnam et la France, marqués par leur destin et le quatrième mois de l’année 1975. Le 30 avril 1975 : jour de la libération, disent les Vietnamiens du Vietnam. La chute de Saigon, disent les Vietnamiens de l’étranger, les Viêt-kiêu. Une date toujours tabou. « Parler du mois d’avril. Le Quatrième mois. Ce quatrième mois, j’ai écrit son nom sans relâche. Et dans ce roman, j’ai fait fleurir des 4 partout, ce 4 interdit, des 4 à toutes les lignes, jusqu’à ce que toi, lecteur, tu en sois malade. Mais à moi, il m’avait tellement manqué ».
Entre romances et récit historique, l'auteur revient sur un moment qui aura marqué tout un pays : la chute de Saïgon ou le jour de la libération.
EXTRAIT
L’hôtel n’est pas en Californie mais à Saïgon. Pas dans le 4e arrondissement, mais sur la rue Dông Khoi. Ly-An passe ses bras autour de son cou et plonge ses yeux dans les siens. Elle a 4 reflets dorés dans les yeux. Il pense qu’elle est sur le point de lui dire quelque chose d’important. Il retient son souffle et attend. Elle finit par parler. À voix basse : ‒ De Catinat à Tu Do, puis Dông Khoi, cette rue ne cesse de porter des noms différents. ‒ Tu Do ? Dông Khoi ? Il hésite 4 secondes et secoue la tête. ‒ Dông khoi, cela veut dire révolte. Et tu do, liberté. Ici les gens se sont révoltés non pour obtenir la liberté, mais pour la perdre ! dit-elle avant d’éclater de rire. Il sent son amertume. Puis il se dit que dans ce pays, suite à l’installation du régime communiste, non seulement les rues avaient vu leurs noms modifiés mais les dictionnaires avaient aussi subi de grands changements : la langue vietnamienne d’autrefois, cette fierté de ses parents, regorge aujourd’hui de nouvelles expressions telles que « se regonfler le moral », « exalter le slogan », « avoir l’optimisme des révolutionnaires », « suivre l’exemple de l’oncle Hô » employées tout d’abord par les dirigeants d’origine paysanne, dont le plus grand rêve était de détruire la classe bourgeoise avec toutes ses valeurs culturelles, jugées « hypocrites et nuisibles ».
- L’expression « langue de bois » existe-t-elle en vietnamien ? se demande-t-il en luttant contre le sommeil. La chambre est à nouveau plongée dans le silence. Il la prend dans ses bras, enfouit son visage dans ses cheveux. Ces 44 heures s’annoncent délicieuses, il s’arrêtera pour savourer toutes les secondes. Et ce tour de taille, cette taille si fine, si excitante.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Thuân a suivi des études à Moscou avant de s’installer à Paris et de rayonner entre Hanoi, New York et Berlin. Distinguée par le prix de l’Union des écrivains du Vietnam en 2008 et la bourse de la création du Centre national du livre en France en 2013, elle est l’auteure de huit romans dont la plupart ont été traduits en français, notamment chez Riveneuve et au Seuil. Un avril bien tranquille à Saigon a été interdit par la censure vietnamienne en 2015.