La joie
Tietoa kirjasta
La Joie est un roman de Georges Bernanos publié en 1929 aux éditions Plon et ayant reçu la même année le prix Femina.
Résumé
M. de Clergerie, sa mère (qui joue la comédie de la folie) et sa fille, Chantal, ont provisoirement quitté Paris pour un séjour à Laigneville. Ils profitent de l'agréable été normand. Au cours d'une discussion avec son père, la jeune Chantal laisse percevoir sa nature mystique, sa pureté et sa simplicité, mais elle ne se sent pas prête pour prendre le voile. Son père souhaite pourtant qu'elle s'établisse: il est surtout soucieux de sa carrière de savant et du fauteuil qu'il brigue à l'Académie. Une scène avec sa grand-mère qui a perdu la raison montre les aptitudes étranges et comme surnaturelles de Chantal de Clergerie: elle semble capable de communiquer avec les âmes...
Extrait
| I
Elle ouvrit doucement la porte, et resta un moment sur le seuil, immobile, tenant levée sa main à mitaine noire. Puis elle reprit sa marche à pas menus, furtive, éblouie, sa vieille petite tête invisible sous le triple bandeau d’un châle de laine, aussi seule qu’une morte dans le jour éclatant. Un rayon de soleil traversait la pièce obliquement, de bout en bout. Quand elle s’arrêta, l’ombre lumineuse du tilleul continua de flotter sur le mur.
– Qui vous a laissée venir ici, maman, pourquoi ? dit M. de Clergerie. À une heure pareille ! De si bon matin. Que fait donc Francine ?
Il était apparu à l’autre extrémité de la salle, avec ses lunettes d’écaille et son petit bonnet de drap, un veston de chambre à brandebourgs sur sa chemise de nuit. Mais elle ne cessait pas de le regarder fixement, comme pour le mieux reconnaître et lui trouver une place dans la mystérieuse et implacable succession de ses pensées. Il s’approcha d’elle, en haussant les épaules, et lui serra un peu le bras sans parler.
– Les clefs ? dit-elle.
– Peut-être les avez-vous laissées sur votre table de nuit ? Hier déjà, maman, souvenez-vous... Et tenez, je les sens dans votre poche : les voilà.
La main ridée sauta dessus, avec l’agilité d’une petite bête. Elle les approcha de son oreille, les fit cliqueter, puis sourit malicieusement. La voix de son fils, une pression de ses doigts, sa seule présence réussissait toujours à l’apaiser. Mais ses traits ne se détendirent cette fois qu’un instant, et elle se mit de nouveau à parler pour elle seule, à voix basse.
– Je sais ce qui vous inquiète, oui, oui, dit-il, sans lâcher le bras dont il sentait à travers l’épaisseur de l’étoffe la résistance impuissante. Je sais. Ne vous mettez pas en peine... Elle ne se lèvera pas encore aujourd’hui, elle ne sortira pas de sa chambre. Je compte absolument sur vous, maman...|