Le Chant de la misère
Tietoa kirjasta
Extrait
| I
Ma sœur Alexine et moi, nous naquîmes dans une salle d’hôpital, la veille de Noël.
Mon père, Félix Dorvenne, exerçait la profession de serrurier. Il gagnait de bonnes journées, lorsqu’il travaillait. Mais il lui plaisait beaucoup mieux de discuter pendant des heures à une table d’estaminet, en sirotant un café ou une inoffensive limonade, car il détestait l’alcool et ne se grisait que de tirades révolutionnaires, d’aspirations véhémentes vers l’âge d’or du prolétariat vainqueur.
Cette ivresse-là, pour n’avoir pas certaines conséquences de l’autre, en arrivait néanmoins à un résultat semblable : le dégoût du travail. Et, en attendant que le flot des prospérités se déversât sur la classe ouvrière, Félix Dorvenne laissait manquer les siens du nécessaire.
Voilà pourquoi nous vîmes le jour à l’hôpital. Et ce fut par un juron furieux que mon père accueillit la nouvelle.
– Trois enfants ! Malheur ! s’exclama-t-il.
Car nous avions déjà un frère, âgé de deux ans.
Aussitôt rétablie, ma mère rentra dans le pauvre logement, composé de deux pièces et situé au cinquième, au fond d’une cour noire, empuantie par les relents de toute cette population qui vivait là dans les plus déplorables conditions d’hygiène. De nos fenêtres, nous ne voyions que le bâtiment d’en face, plus haut que le nôtre, percé de cent yeux curieux. Du linge séchait à toutes les fenêtres, et des bourgerons, des pantalons de treillis que les ménagères lavaient pour leurs hommes. Quelques fleurs, çà et là, poussaient dans une petite caisse. Mais la cour était sombre, l’atmosphère inclémente, et les giroflées, les fuchsias, les violettes rapportés un dimanche de quelque promenade dans les bois de Meudon ou de Vincennes prenaient très vite un air souffreteux et s’alanguissaient et mouraient discrètement, comme tant d’existences humaines, derrière les murs décrépis des vieilles maisons de pauvres...|