La porte scellée
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Gilberte se laissa retomber au plus profond du fauteuil. Ses mains se croisèrent sur la soie claire de la robe d’intérieur. Autour d’elle, à chaque minute qui passait, les meubles, les objets, les tentures devenaient plus indistincts sous le voile lentement étendu de la nuit.
Les bruits de Paris arrivaient atténués jusqu’à ce paisible appartement, situé dans le quartier Saint-Sulpice. Et Gilberte pouvait presque se croire dans sa calme petite ville de Rochegayde, à l’heure où le crépuscule entrait dans les grands logis anciens, à l’heure d’« entre chien et loup ».
Rochegayde !
À ce nom, tout un passé de bonheur tranquille, de joie insouciante redevenait vivant, pour elle. Son enfance, sa première jeunesse s’étaient écoulées en partie dans la vieille cité bâtie sur la roche, dominant la vallée couverte de châtaigneraies que coupaient de petits prés et d’étroits champs de culture. Enclose dans la ceinture croulante de ses remparts, au-dessus desquels se dresse le donjon tronqué, Rochegayde demeure le témoin silencieux d’un passé de lutte et de défense. Car elle fut une petite ville guerrière, qui connut l’horreur des sièges et des assauts, qui résista, qui tomba, qui répara les brèches de ses murailles, infatigablement, jusqu’au jour où la paix se fit définitive, pour elle, et où elle commença de s’endormir, comme beaucoup d’autres petites cités dans la France sortie de la féodalité. Les lourds canons de bronze furent enlevés des remparts, qui continuèrent d’étendre leur ombre protectrice sur les maisons d’autrefois, sur les jardins clos de murs fleuris, les ruelles et les cours vieillottes au-dessus desquelles Saint-Denis dresse sa tour octogonale, somptueuse broderie de pierre que les années dégradent à petit bruit. Rochegayde se complut dès lors dans cette agréable torpeur, qui lui semblait probablement un repos bien gagné après de si rudes alertes.