La villa des Serpents
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Au début du XIXe siècle, il y avait au manoir des Lesvélec deux frères, Alain et Xavier. L’aîné s’occupait de faire valoir le domaine. Le cadet, officier de marine, ayant donné sa démission, s’était établi au Mexique, où il menait la libre vie des aventuriers. Il s’enrichit par la découverte d’un placer, épousa la fille d’un haciendero et, vers la quarantaine, reparut en Bretagne. Ayant acheté à son frère le terrain d’herbages jouxtant le jardin du manoir, il y fit bâtir cette villa des Serpents, qu’il voulut complètement différente des habitations du pays. Dédaignant le granit, il fit venir à grands frais une pierre blonde qui, une fois polie, donnait des tons d’ambre pâle. Un portique surmonté d’une loggia donnait accès dans la maison. De chaque côté des degrés, deux énormes serpents de pierre dressaient leur horrible tête plate. Xavier les avait rapportés du Mexique où il les avait découverts sous les ruines d’un temple aztèque. Le serpent figurait dans les armoiries des Penandour, qui se targuaient de descendre de la fée Mélusine. Les habitants du pays murmurèrent que c’était un signe de malheur de mettre ainsi sa demeure sous la protection de cette personnification satanique. Ils regardaient sans aménité la belle Mexicaine dont le luxe, les toilettes aux vives couleurs formaient un trop vif contraste avec la simplicité des costumes, le genre de vie que commandaient des fortunes plutôt médiocres.
Les relations entre les deux familles de Penandour étaient cordiales. Elles se réunissaient fréquemment, et la jolie Concepcion venait d’être marraine d’un petit Penandour de la branche aînée, quand elle mourut en donnant naissance à une fille, Josseline, au printemps de 1842.
Cette fille, vers sa vingtième année, devint baronne de Bréhans. Les rapports continuaient, excellents, entre les deux maisons, et le demeurèrent jusque vers 1872. À cette époque, le maître de Lesvélec était Job de Penandour. Sa femme, Haude de Rosnoan, lui avait donné une fille et un fils. La villa des Serpents était occupée, durant l’été, par Amaury de Bréhans, veuf de Josseline et père d’une fille. Ce fut vers ce temps-là qu’eut lieu la rupture entre les deux maisons. Pour quel motif ? Monsieur de Gisquel ne le dit pas. Hoël apprit seulement que la villa n’était plus habitée depuis une trentaine d’années.