Mensonges
Description of book
Mensonges est un roman de Paul Bourget paru en 1887.
Extrait
| UN COIN DE PROVINCE À PARIS
« Monsieur, » fit le cocher en se penchant du haut de son siège, « la grille est fermée… »
— « À neuf heures et demie ! … » répondit une voix de l’intérieur de la voiture. « Quel quartier ! Ce n’est pas la peine de descendre ; le trottoir est sec, j’irai à pied… » Et la portière s’ouvrit pour donner passage à un homme encore jeune, qui releva frileusement le collet de loutre de son pardessus, et avança sur le pavé des souliers découverts. Ces souliers vernis, les chaussettes de soie à fleurs, le pantalon noir et le chapeau d’étoffe témoignaient que, sous la fourrure, ce personnage cachait une complète tenue de soirée. La voiture était un de ces fiacres sans numéro qui stationnent à la porte des cercles, et, tout en assurant son cheval, le cocher, peu habitué à ce coin provincial de Paris, se prit à regarder, comme faisait son client lui-même, cette entrée d’une rue, vraiment excentrique, bien qu’elle fût située sur le bord du faubourg Saint-Germain. Mais à cette époque, — en 1879 et vers le commencement de février, — cette rue Coëtlogon, qui joint la rue d’Assas à la rue de Rennes, présentait encore la double particularité d’être close par une grille, et, la nuit, éclairée par une lanterne suspendue, suivant l’ancienne mode, à une corde transversale. Aujourd’hui la physionomie de l’endroit a bien changé. Il a disparu, le mystérieux hôtel, à droite, placé de guingois au milieu de son jardin, et qui abritait sans doute une calme existence de douairière. Les terrains vagues qui rendaient cette rue Coëtlogon inabordable aux voitures du côté de la rue de Rennes, comme la grille l’isolait du côté de la rue d’Assas, ont été nettoyés de leurs amas de pierres. Les becs de gaz ont remplacé la lanterne. À peine si deux pavés un peu inégaux marquent la place des barreaux sur lesquels jouaient les portes mobiles de la grille, que l’on poussait seulement chaque soir au lieu de les verrouiller. Le jeune homme n’eut donc pas à sonner pour se faire ouvrir, mais, avant de s’engager dans la mince ruelle, il s’arrêta quelques minutes devant le paysage que formaient cette impasse sombre, le jardin de droite, la ligne des maisons déjà presque toutes éteintes à gauche, au fond les masses confuses des bâtisses en construction, la lanterne ancienne au centre...|