Je parle pour ceux qui ne croient pas à l’existence d’un Juge unique, tout-puissant et infaillible, qui, penché jour et nuit sur nos pensées, nos sentiments et nos actions, maintient la justice en ce monde et la complète ailleurs. S’il n’y a pas de juge, y a-t-il une justice autre que celle organisée par les hommes, non point seulement par leurs lois et leurs tribunaux, mais encore dans toutes les relations sociales non soumises aux jugements positifs, et qui n’a d’ordinaire pour sanction que l’opinion, la confiance ou la méfiance, l’approbation et l’improbation de ceux qui nous entourent ? N’y a-t-il rien au-dessus de celle-ci ? Ce qui dans la morale de l’univers paraît souvent si inexplicable que les hommes se croient pour ainsi dire forcés de croire à l’existence d’un juge intelligent, peut-on le ramener à la justice sociale, et l’expliquer par elle ? Quand nous avons trompé ou vaincu notre prochain, avons-nous trompé ou vaincu toutes les forces de la justice ? Tout est-il définitivement réglé et n’avons-nous plus rien à craindre, ou bien existe-t-il une justice plus grave et moins sujette à l’erreur ? moins visible mais plus profonde ? plus universelle et plus puissante ?