La Douloureuse Victoire
Opis książki
Extrait
| I
La chaude brise de juin entrait par les trois portes-fenêtres dans la grande salle longue qu’assombrissaient un peu les marronniers proches. L’ombre mouvante des feuillages dansait sur le bois verni des placards, sur la table couverte de morceaux d’étoffes, de ciseaux, de boîtes à fil, sur les visages des travailleuses et les cheveux bruns, blonds, grisonnants. Elles étaient là douze – quelques-unes âgées, comme Mme Augé qui atteignait quatre-vingts ans ; d’autres très jeunes, telle Claire Fervières, dont la légère chevelure châtain clair entourait une ronde et rieuse figure qui n’accusait pas plus de dix-huit ans. Veuves, femmes mariées, jeunes et vieilles filles se réunissaient ici, chaque samedi, et travaillaient pour les pauvres sous la présidence de Mme Fervières, la femme du notaire.
Elle était assise au bout de la table. La cinquantaine proche n’altérait qu’à peine ses traits délicats et laissait à la taille toute sa finesse, toute sa juvénile souplesse. Élisabeth Fervières possédait ce charme discret, tout en demi-teintes, qui fait de certains automnes de femmes la revanche d’une jeunesse au cours de laquelle elles ont passé inaperçues, ignorées, près d’autres plus brillantes dont l’âge, ensuite, ternira l’attrait. Rien en elle ne forçait l’attention, tout la retenait : la grâce tranquille des mouvements, le pli de bonté douce que la bouche gardait à demeure, la sérénité pensive des yeux couleur de noisette, le sourire fugitif qui, des lèvres, montait jusqu’au regard, et la voix pure, doucement vibrante.
Cet extérieur ne trompait pas sur la valeur morale. L’intelligence affinée s’unissait, chez Mme Fervières, à une bonté que rien ne lassait et à la plus discrète charité. Sur cette réunion hebdomadaire qui se tenait au rez-de-chaussée d’un pavillon dépendant de la maison notariale, elle exerçait, par son tact et ses vertus, une influence dont la réputation du prochain retirait maints avantages. Car elle ne laissait passer aucun propos qui eût allure de médisance et, avec une fermeté tranquille, coupait net le commérage. Toutes ces dames de l’ouvroir Sainte-Clotilde le savaient. Aussi les incorrigibles gardaient-elles pour une meilleure occasion les racontars abhorrés de leur présidente...|